07/06/2007

re laçons social...

Un des slogans de la décroissance est d'aller vers « moins de biens mais plus de liens ». Il s'agit donc de développer l'être (les liens) et de réduire l'avoir (les biens), qui est bien souvent hypertrophié dans nos sociétés occidentales.

Centrons-nous pour cette chronique sur le « Plus de liens» : pourquoi est-ce

un élément clé pour faire évoluer notre société et la faire croître en humanité?

Faire société

Depuis quelques siècles, l'Occident pense que l'individu précède la société, existe par lui-même. La société n'étant qu'un regroupement d'individus a posteriori, à des fins principalement utilitaires (production de biens, sécurité,

etc.).

Or les connaissances actuelles nous montrent précisément le contraire.

Les sociétés existaient plusieurs millions d'années avant l'existence

d'Homo Sapiens. I.:éthologie récente a bien montré l'incroyable richesse des

relations sociales chez certains singes, par exemple chez les bonobosl.

L'anthropologie et la neurologie ont montré que la taille et la construction

du cerveau humain (qui met une quinzaine d'années à s'établir) sont

- liées bien plus à l'intelligence sociale (les liens) qu'à l'intelligence instrumentale (l'usage des biens). D'après le philosophe François Flahault, « pour

les êtres humains l'état de nature, c'est l'état social )}. Le langage, les représentations communes, le symbolique n'ont pu se développer que dans un

environnement social et sont essentiels à notre existence psychique.

L'homme ne peut se concevoir en dehors des multiples réseaux dont il

fait partie. L'être humain équilibré n'existe que grâce à la société. Celle-ci

n'est donc pas qu'un moyen mais bien une fin en soi, une condition de l'existence pleinement humaine. Nous sommes donc issus de la société, sans

être confondus en elle, et nous la transformons en retour par notre attitude

quotidienne.

Une conception erronée de l'individualisme, entendu non dans son sens positif

d'émancipation libre, mais dans un sens d'existence absolue, indépendante

des liens sociaux, a fait naître cette idée qu'il faut se développer soi-même avant tout, développer son « capital» personnel, au détriment des relations sociales.

Au cas où nous n'aurions pas compris le message, la publicité omniprésente

se charge chaque jour de nous le rappeler (ce qui, en soi, est dejà suffisant

pour éveiller la vigilance des objecteurs de croissance !).

Deux faces de l'être

Jacques Généreux' explique que l'homme, dans son désir d'être, doit

équilibrer deux aspirations fortes, souvent ambivalentes: « être soi» et « être

avec ». « Être soi» relève du bon côté de l'individualisme s'il est équilibré par

l'« être avec », c'est-à-dire les relations sociales, le partage de biens communs

collectifs, exister avec et pour les autres et non contre eux. À défaut de cet équilibre, «être soi» peut verser dans l'égoïsme, dans la compétition permanente,

ce qui fait naître une « dissociété », une juxtaposition d'individus dissociés. l'individu, du fait d'un désir infini, peut facilement verser dans

le développement quasi-exclusif de l'« être soi »6.

Ambivalence

Cette ambivalence de nos aspirations, qui existe au plus profond de .chacun de

nous, explique probablement que la société, dans son ensemble, tolère

encore largement la dégradation des liens qui la constituent. Nous dénonçons

le culte de l'urgence, l'obsession du rendement et la flexibilité. Mais

nous ne ferions pas l'éloge de l'immobilité ou de l'inefficacité. Nous plébiscitons

les vertus de ta coopération mais nous ne détestons pas les compétitions.

Nous regrettons les pollutions mais nous nous interrogeons peu sur celles

générées pour satisfaire nos achats, etc.

C'est pour cela qu'un travail sur soi, un travail de modération, une certaine

vigilance est nécessaire. Mais tout cela n'est pas suffisant. L'État est là également pour mettre des bornes aux expansions individuelles et collectives

non maîtrisées, qui ne peuvent se faire qu'au détriment des conditions de

coexistence et des biens collectifs. La vie en société étant précisément un des

biens collectifs les plus importants, qui n'existe que lorsqu'il est partagé par

tous. À défaut de ces interventions individuelles et collectives, la société de

rivalité progresse car elle s'engendre elle-même. La société néolibérale de marché favorise les individus ayant un comportement de compétiteur, ce qui

va entraîner les autres à leur suite et réclame des poches de coopération: un

phénomène vicieux d'autoréalisation.

Il est d'autant plus urgent de mettre en pratique le slogan «Moins de biens

mais plus de liens » ! C'est parfois difficile, ne nous le cachons pas, mais

c'est également sôuvent joyeux et enrichissant.

Nicolas Ridotij



1 - Frans de Waal et Frans Lanting, Bonobos,Le bonheur

d'être singe, Fayard, 1999. Frans de Waal,

Quand les singes'prennent le thé, Fayard, 2001.

2 - Robin Dunbar, « Evolution of the Social Brain »,

Science, vol. 302, 2003, p. 1160-1161.

3 - Merlin Donald, Les origines de l'esprit moderne.

Trois étapes dans l'évolution de la culture et. de la

cognition, Bruxelles, De Boeck Université, p. 19-20.

4 - François Flahault, Le paradoxe de Robinson,

Capitalisme et société, Mille et une nuits, 2006.

Excellent petit ouvrage qui traite dans le détail

cette question de la société qui précède l'individu.

5- Jacques Généreux, La Dissociété, Seuil, 2006.

6 - Cet « Être soi» se trompe du reste souvent d'objet

et se transforme en. un «plus d'Avoir» (des

achats d'objets) alors que l'on vise un «plus

d'Être ».

2 Grains de sel:

harissa a dit…

d'accord!

Anonyme a dit…

Hum ! Un peu facile tout de même...Je me méfie tjrs de l'anthropomorphisme social.