02/07/2007

concurrence à tout prix...

L'électricité libre jusqu'à l'absurde

LE MONDE | 29.06.07 | 14h28  •  Mis à jour le 29.06.07 | 14h28



Le 1er juillet, la France achèvera le processus de libéralisation de

l'électricité. Après les entreprises et les professionnels, ce sera au

tour des particuliers de goûter aux délices de l'ouverture à la

concurrence. Mais le plat risque de ressembler plus à de la junk food

qu'à une création gastronomique.





Le bilan de l'ouverture à la concurrence s'avère en effet

catastrophique et ce, quel que soit le pays. Entre 2001 et 2006, les

prix du marché ont connu une envolée spectaculaire : 39 % en Espagne,

49 % en Allemagne, 67 % en Finlande, 77 % en Suède, 81 % au

Royaume-Uni et 92 % au Danemark ! En France, les entreprises qui ont

choisi de quitter les tarifs réglementés de service public ont vu leur

facture d'électricité augmenter en moyenne de 76 % sur la même

période, quand les tarifs d'EDF restaient à peu près stables.



De nombreux industriels réclament d'ailleurs la possibilité de

réintégrer l'univers des tarifs réglementés. Situation si

inconfortable que le gouvernement français a complété la loi de

décembre 2006 relative au secteur de l'énergie par une disposition

permettant un retour partiel aux tarifs réglementés pour les

industriels insatisfaits !



Nous sommes donc dans une situation paradoxale. L'ouverture à la

concurrence permet de faire baisser les prix, nous disent les bons

apôtres du néolibéralisme. Cet argument avait déjà été mis à mal lors

de la libéralisation d'autres secteurs relevant auparavant des

services publics en réseaux, comme par exemple les télécommunications.

Dans ces secteurs, la libéralisation a signifié la fin de la

péréquation tarifaire qui avait historiquement permis que les

prestations les plus rentables financent celles qui le sont peu ou pas

du tout.



L'ouverture à la concurrence a donc entraîné "un rééquilibrage

tarifaire", selon l'expression savoureuse de la Commission européenne,

avec une baisse de prix pour les gros consommateurs, en particulier

les entreprises, la grande masse de la population voyant, au

contraire, ceux-ci s'envoler. Les zélateurs de la libéralisation

expliquaient que "ce rééquilibrage tarifaire" permettrait aux

entreprises de baisser leurs prix, les particuliers étant donc

gagnants sur le long terme. On ne peut ici que reprendre ce que disait

Keynes aux économistes libéraux de son époque : "Sur le long terme, on

sera tous morts."



On savait après les premières libéralisations dans les services

publics que la promesse d'une baisse des prix relevait de la pure

propagande pour la grande majorité de la population. Dans le cas de

l'électricité, même la plupart des entreprises n'en profiteront pas !

On a là un exemple parfait de l'application dogmatique des préceptes

néolibéraux.



Mais ce n'est pas tout. L'ouverture à la concurrence pousse au

sous-investissement, ce d'autant plus qu'elle s'accompagne d'une

privatisation des opérateurs publics. Investir dans les services en

réseaux coûte cher. Dans le cas de l'électricité, cela coûte d'autant

plus cher qu'il faut investir dans des moyens de production pour

lesquels le retour sur investissement prend beaucoup de temps. On est

donc loin de la logique à court terme du capitalisme financier. La

volatilité des prix sur le marché de l'électricité et l'absence de

visibilité sur leur évolution renforcent encore cette tendance au

sous-investissement, qui produit inévitablement des ruptures

d'approvisionnement des usagers.



De plus, l'électricité ne se stocke pas. Il faut donc en permanence

ajuster l'offre à la demande. Cet équilibre n'était déjà pas simple à

assurer avec un seul opérateur. Il devient très compliqué avec

l'ouverture à la concurrence quand se multiplient les intervenants,

surtout quand ceux-ci ont comme première préoccupation la rentabilité

financière. Le risque est donc très important qu'un déséquilibre dans

le réseau s'avère impossible à gérer.



Enfin, le transport de l'électricité s'effectue avec des pertes en

lignes importantes. Il est donc absurde économiquement et

écologiquement de produire de l'électricité dans un pays pour aller la

vendre à des milliers de kilomètres de là. L'ambition d'un "grand

marché européen de l'électricité", portée par la Commission

européenne, est une absurdité dangereuse.



Plus les réseaux sont interconnectés et plus les risques de

dysfonctionnement majeur liés au sous-investissement et aux ruptures

d'équilibre dans le réseau s'aggravent. Le cas de la Californie est

emblématique, mais n'est pas unique. Les pannes géantes en Espagne, en

Italie et, en novembre 2006, à travers l'Europe en sont les

manifestations les plus visibles.



La libéralisation est enfin incompatible avec l'objectif prioritaire

de sobriété énergétique indispensable pour commencer à résoudre la

crise écologique : aucune entreprise ne souhaite voir baisser son

chiffre d'affaires et n'a donc intérêt à ce que la consommation

diminue ! Au moment où le débat énergétique devient un enjeu citoyen

intégrant à la fois les questions du réchauffement climatique, du

développement durable et du principe de précaution, on peut douter que

la concurrence soit le meilleur moyen d'ouvrir ce débat et de le mener

démocratiquement.



Tous ceux qui se sont, un minimum, penchés sur ce dossier savent tout

cela. Cette analyse n'est plus vraiment contestée aujourd'hui. Et

pourtant la Commission européenne ne renonce pas, et les gouvernements

suivent. Sur ce sujet, la "rupture" promise par Nicolas Sarkozy

attendra... à moins que, dans les jours qui viennent, la raison

l'emporte et que le gouvernement proclame un moratoire sur le

processus de libéralisation. Ne rêvons cependant pas, les apôtres du

néolibéralisme ont montré qu'ils ne s'encombraient pas du principe de

réalité.



Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU ;



Bernard Defaix, président de la Convergence pour les services publics ;



Pierre Khalfa, secrétaire national de l'Union syndicale Solidaires ;



Marc Mangenot, Fondation Copernic ;



Christiane Marty, membre du Conseil d'administration d'Attac.


1 Grains de sel:

harissa a dit…

je repense à cette question que tu posais sur la modernité et ce qu'elle satisfaisait... ce projet de libéralisation de l'électricité répond complètement nos attentes où le changement à tout prix est toujours la solution. dans ce cas, changer, c'est évoluer. on ne sait pas ce que ça va solutionner, puisque il semble démontré que faire jouer la concurrence est complètement illusoire, mais nous aimons stimuler les rivalités, les supposons porteuses. comme nous sommes friands d'illusions, incapables de nous satisfaire, nous voulons autrement sans regard objectif sur le supportable, nous faisons l'apologie du pire, convaincus que nous trouverons là le meilleur.